jeudi 5 juin 2008

Tranches d'Endoxan, épisode 4

Hôpital de Soissons, le 4 juin 2008

La radio distillait indifféremment, le décompte de morts dans le pimenté Sichuan, le même décompte pas moins morbide dans la cloîtrée Birmanie, l’indécent mais inévitable prix du baril, …. En gros, cette journée s’annonçait nominale car depuis déjà deux mois, il était impossible d’échapper à ces litanies. Si l’émotion relative aux morts tant chinois que birmans s’amenuisait, celle relative au prix du baril suivait la courbe inverse de ses tarifs. Dans mon VSL, la conversation entre mon chauffeur et un autre malade collait presque à cette actualité. Enfin … notamment sur le prix du carburant… Le vieillard hors d’âge, avec qui je co-voiturais, ne tarissait pas de remarques acerbes sur le « prix du baril ». Je me demandais bien ce en quoi ça pouvait le torturer vu son évidente incapacité à conduire. Saoulé par le ping-pong d’experts entre mon chauffeur et papy, j’optais pour la question qui les laisserait coi : « Au fait, il y a combien de litre dans un baril ? » Le silence ne se fit pas attendre et notre fin de parcours s’en trouva plus sereine.

Le service de médecine 4 de l’hôpital de Soissons était très accueillant. Et de ce fait, les rencontres étaient tout aussi variées. A peine installé dans ma chambrette, la visite de Christian me plongea dans l’instant dans le monde du travail de l’usine de cartonnage de Soissons. Christian n’était pas le gars à s’embarrasser de longues et fastidieuses présentations et la plongée au recyclage des papiers fût toute aussi instantanée que vivante. Il faut dire qu’il y mettait du cœur, ne lésinant pas sur les bruits que je devinais être ceux d’une vaste machine à retraiter le papier. Il fut tout aussi réaliste que puissant dans son interprétation de ce que j’ai cru identifier comme la sécheuse. De ce fait, Léontine le renvoya à sa canfouine sans ménagement. Son efficacité et son amabilité, toute antillaise, me soulagèrent car je me voyais mal poursuivre plus avant cette visite immobile et à haute teneur en décibels. Le monde du travail n’est pas sans effet et les plus fragiles y laissent la raison.

Une fois au calme, mon infirmière me brancha en attente des produits ad hoc. C’est un peu comme à la station service, pistolet dans le réservoir mais sans faire le plein. Rien de concret, outre une solution aqueuse pour maintenir la voie ouverte. Attente du feu vert de l’équipe de « neuros » au vu de mes analyses mensuelles. Je ne m’impatiente même pas, bien aidé en cela par mon voisin de chambrée que le show sonore de Christian n’avait pas sorti de sa torpeur. Il a vingt ans et se régale de TV Shopping dès le réveil. Nous sommes gâtés ce matin car les produits miracles, l’été approchant, sont tous à même de nous rendre la silhouette de nos vingt ans. Un seul échappe à la règle, la boule de lavage, qui d’évidence a l’air grandiose, protège la nature, ne coûte pas cher et remplace la lessive. En fait, on lessive sans lessive. Que demander de mieux… peut-être une présentation moins conne de ce produit révolutionnaire qui mérite mieux que des acteurs pas à la hauteur de cette révolution du tambour et un huissier moins glauque pour attester du miracle. Mais revenons à notre été à la plage, entouré que de petits culs ou fesses fermes. Pour cela, divers appareils sont indispensables. Le four qui cuit en dégraissant, l’imitation de Power plate qui me laisse tout secoué d’efficacité, la cabine de hammam domestique suante ou encore le régulateur de transit qui, non content de réguler, emporte les mauvaises graisses vers votre fosse septique. Notez, la semaine prochaine, de ne pas manquez les enzymes rajeunisseurs de fosse septique, encrassée comme de juste.

Pas lassé, mon voisin enchaîne avec le « brillance pack auto » mais je le lâche et musique aux oreilles, je replonge dans la lecture de la vie de Gandhi. Je pense au Mahatma et me demande combien de tours il a fait dans son nuage crématoire en voyant les sud africains « de souches » expulser violemment ceux-là même qui, réfugiés de contrées voisines, avaient bêtement cru à cette histoire de « One people, One nation ».

Ma perfusion en fin de shoot de cortisone, j’attaque mon repas avec la même réserve frugale qu’aurait eu Mohandas Gandhi devant ce triste morceau de bœuf, bouilli de surcroît.
J’abandonne l’idée d’une marche du sel ou d’une désobéissance civile solitaire et mâchonne mon bœuf bouilli sans sel cause cortisone. Dieudonné se pointe, sourire radieux et africain aux lèvres. Pour faire diversion, nous évoquons l’Amiwo au poulet typiquement béninois et ses délicates saveurs de crevettes séchées, d’ail et d’oignons.

Mais cette journée se termine si classiquement que je ne résiste pas à la clore avec vous sur le fabuleux sourire de Dieudonné lorsque à ma question « Au fait comment as-tu appelé ta fille ? » il me répond : « Merveille ».

Prochain trip soissonnais, le 2 juillet.