jeudi 19 février 2009

Tranches d'Endoxan, fin

Hôpital de Soissons, le 11 février 2009

Cette aventure "hospitalo-chimièsque" est à présent terminée, sans résultat probant. Merci de m'avoir soutenu, suivi et lu. Contrairement à ma SEP, Dieudonné a disparu et j'en suis resté coi sur les derniers six mois de ce traitement. A bientôt, pour de nouvelles explorations...

jeudi 7 août 2008

Tranches d'Endoxan, épisode 6

Hôpital de Soissons, le 6 août 2008

Pour Elise

Ils sont orthophonistes en France, logopèdes en Belgique ou logopédistes en Suisse, "speech and language therapists", ou encore "speech and language pathologists", abrégés SLT et SLP, chez nos voisins anglosaxons.

Infime illustration d’une des difficultés européennes, malgré ces diverses appellations, ils sont tous formés à résoudre des troubles de la communication liés à la voix, à la parole et au langage oral et écrit. Ces différents acteurs peuvent être aussi sollicités en matière de déglutition et de motricité bucco-faciale.

C'est le souci que rencontre Roger, mon pote de chambrée du jour, dans l'extrait sonore ci-dessous. Montez le son pour goûter cette voix délicieuse et cet accent engageant en cliquant sur le lien ci-dessous !

" Parler, sinon...! ".... 

Un jugement hâtif pourrait faire croire qu'une intermittente de fortune préside à ce stimulus vocal. Il n'en est rien, ce n'est pas non plus un des ouvriers bulgares du chantier d'agrandissement de l'hôpital de Soissons qui entame une reconversion lors de sa pause casse croûte. Ce n'est pas non plus une candidate à l’expulsion vers un quelconque et accueillant état, ex-soviétique, indépendant, Kazakhstan, Kirghizistan, Lettonie, Lituanie ou encore Moldavie. Rien de tout cela, il s’agit de la « Mimi Mathy » de l’épisode précédent, médecin neurologue, d’importation roumaine, en poste à l’hôpital de Soissons. Je le répète encore, rien ne m’incline à douter des compétences de ces médecins siglés « Import ». Et d’autant moins dans le domaine de la sclérose en plaques où la brasse coulée est de rigueur. Néanmoins, vous en conviendrez dans cet extrait, on ne sent pas les éléments, sans doute accessoires mais forcément contributifs à un bon climat de dialogue et de guérison. Quant à l’écoute… !

La chaleur de la journée me laisse amorphe et aux prises avec un couple visitant Roger. Sous un maigre filet d’air distillé par un fragile ventilateur, le couple de pachydermes tente un vain dialogue avec le frère de la femelle. Le mâle s’applique à brouiller ses messages vocaux d’une forte empreinte « cht’i ». Je ne sais pas si cela gêne Roger car ses tentatives de réponses ne me permettent pas de déceler le moindre accent, « cht’i » ou autre. Rapidement lassé par ce maigre dialogue, ils me demandent s’ils peuvent mettre la télévision. J’acquiesce aimablement à leur demande et ils s’installent donc devant un vague remake de la « Cuisine au beurre », « Mes deux maris », où Patrick Bosso tient un rôle proche du Fernandel d’origine. Bref, l’ambiance se détend dès les premières puissantes répliques et je comprends enfin le succès de tant de mièvreries télévisuelles. J’ai même droit à des commentaires référencés sur la carrière de la vedette féminine Natacha Amal qui brille également, si j’ai bien compris, dans une série « Le juge ». Quant à l’inconnu Bruno Slagmulder, je n’ai pu noter les commentaires du mâle sur sa carrière. Peu importe, puisque que nous enchaînons déjà sur une autre chaîne pour suivre le préféré de la femelle, Guy Marchand dans Nestor Burma. Après quelques remarques bien senties du mâle sur le mauvais jeu d’acteur de Nestor, notamment dans les bagarres, je me rends compte que cette journée de perfusion touche à sa fin.

C’est le moment de quitter mes branchements divers, Roger et mes deux experts télévisuels. J’essaye de ne pas troubler leurs bonnes tranches de rigolades et je souhaite bon courage à Roger. Il me répond d’un sourire niais et fatigué.

Je quitte la chambre au travers d'une volée de réprimandes de la femelle à l'encontre de son mâle, zappeur impénitent, et qui vient de nous faire louper une tirade majeure de Nestor !

« Next » tranche, le 5 septembre 2008

mercredi 2 juillet 2008

Tranches d'Endoxan, épisode 5

Hôpital de Soissons, le 2 juillet 2008

" Monsieur Pineau ! Réveillez vous !"

Monsieur Pineau sortait péniblement de ses rêves de sa mère qui ne trouvait toujours pas ses clefs dans "sa parka"...

" Monsieur Pineau ! Réveillez vous !" deuxième injonction.

Ni dans les poches de son "blouson en daim" dans sa chambre dans le garage…

" Monsieur Pineau ! Réveillez vous !" troisième injonction un ton très au-dessus.

Ni ses meurtrissures, ni son oeil au beurre noir, pas plus que son traumatisme crânien, encore moins ses jambes ramollies n'attendrirent la demandeuse. Une collègue de cette dernière, que je résumerais à une double "Mimi Mathy" rousse, assurait le rôle de second de ma neurologue roumaine.

" Monsieur Pineau ! Réveillez-vous et marchez "

"Mais… il me faut mon déambulateur ou je tombe ! "

" Monsieur Pineau ! Marchez ! "

"Mais il me faut mes chaussons…"

"Pas besoin chausson ! Marchez ! "

Les amateurs de grammaire relèveront chausson sans son article ; Quant aux fanas d’impératif, ils auront forcément noté l’utilisation de "Marchez"en lieu et place de "Marche"et qui induit, en cela, une forme de politesse…

"Mimi Mathy" prêtait main forte à ma tchèque de garde. Hé oui, dommage pour Monsieur Pineau, mais le service neurologique avait été laissé aux mains de ces deux femelles ,ex-stagiaires de la Stasi, pour la grandeur de la médecine française. J'exagère à peine les faits et pas du tout le malaise que je ressentais face à cette situation. Peut-être les premiers effets d’une cortisone qui normalement ne ramollit pas…

Ce n'est pas son jour à Monsieur Pineau, car à peine sorti des griffes des "Stasettes roumaines " et encore tout chancelant de ses efforts déambulatoires sans chaussons, deux femmes de ménage viennent lui annoncer qu'il devait faire sa valise, libérer son lit, ranger ses affaires pour 14h00 et allez attendre dans le couloir l’arrivée de son ambulance prévue à 17h00.

Tout en me désolant du sort de Monsieur PINEAU, je notais l’élan d’optimisation de rotation des lits d’hôpitaux. Une présentation argumentée du problème, ainsi qu’un espace d’attente adapté, aurait été à même de mieux lui faire comprendre cette puissante logistique. A contrario, l’exigence des femmes de ménage sur la nécessité de nettoyer la place laissait Monsieur PINEAU flageolant d’effort à faire sa valise, inquiet de ne pouvoir s’allonger pendant trois heures d’attente et, de fait, tout contrit. Il m’attendrit et tout emmêlé que j’étais dans mes deux rallonges de seringues électriques, je me rapprochais du mieux que je pus pour l’aider à avaler la pilule de son faux départ vers le couloir. Il regrettait surtout de ne pouvoir rester, car sa chambre dans le garage de sa mère ne l’attirait guère, lui préférant la belle lumière de nos chambres médicalisées.

Mais les brimades ne s'arrêtaient pas là puisque Marcelline servait déjà le déjeuner. Seul soulagement, son sourire antillais qui m'inclinait à des rêveries insulo-gastronomiques. En lieu et place de mon choux rouge, je voyais de délicieux tchokas d'aubergine, la langue purée prenait les atours de bébélé . Le retour sous nos latitudes se fit dès la première bouchée de choux rouge, rehaussé d'un puissant haut le coeur. Chimio oblige...

Mon nouveau voisin, Joseph. On notera le peu de mixité dans les chambres, mon voisin, donc, atteint également d'une SEP, m'interpella sur les projets de non remboursement des médicaments associés au traitement des ALD. ALD pour affection longue durée. Il faut dire que l'annonce gouvernementale sur ce principe nous choquait forcément tous deux. Malades donc et exclus du remboursement d’un confort relatif, comme la limitation des diarrhées pour les « tri-thérapés » ou moins grave, des crampes pour notre pathologie. Les décideurs de telles insanités ne devaient jamais avoir eu à s’inquiéter de la proximité de toilettes, libres de surcroît. Alors que le débat actuel et présidentiel de la plus grande nation du monde, à savoir les USA, se place sur le terrain de l'accès à l'assurance maladie, des esprits chagrins et d’évidence constipés annonçaient la fin pour les plus touchés d'une partie de ces belles dispositions. Annoncer que l'on coupera les deux bras de tout le monde n'est il pas le meilleur moyen de satisfaire les futurs manchots, heureux de nouvelles prétentions revues de moitié !

Certains lecteurs se plaignent de ne pas avoir plus de précision sur l’amélioration que m’apporte cette chimio. Je résumerais cela d’un "bof" peu convaincu, doublé d’un "top" qui qualifie tout, sauf mon périmètre de marche.

En route vers La Ferté Milon, mon chauffeur Bruno disserte sur le tireur du 3ème Régiment d'Infanterie de Marine de Carcassonne. Son approche est, sans nul doute, ce que j'ai entendu de plus sensé " Putain, on répète, sans arrêt, à nos mômes de ne pas viser les gens, même pour rire..."
Le fin du trajet retour se déroule sur fond de jérémiades de ma co-voiturée, pas pressée de retrouver son fils de vingt sept ans, au chômage, qui se fout sur la gueule avec son mari mais également sur son "transi" notoirement accéléré par vingt centimètres de colon resté au bloc, il y a de ça six mois. Un "transi" tous les quart d'heure lors de sa visite chez sa soeur à Dunkerque le week-end dernier ! Très "pro" ou craignant pour ses coussins, Bruno accélère... discrètement !

« Next » tranche, le 6 août 2008

jeudi 5 juin 2008

Tranches d'Endoxan, épisode 4

Hôpital de Soissons, le 4 juin 2008

La radio distillait indifféremment, le décompte de morts dans le pimenté Sichuan, le même décompte pas moins morbide dans la cloîtrée Birmanie, l’indécent mais inévitable prix du baril, …. En gros, cette journée s’annonçait nominale car depuis déjà deux mois, il était impossible d’échapper à ces litanies. Si l’émotion relative aux morts tant chinois que birmans s’amenuisait, celle relative au prix du baril suivait la courbe inverse de ses tarifs. Dans mon VSL, la conversation entre mon chauffeur et un autre malade collait presque à cette actualité. Enfin … notamment sur le prix du carburant… Le vieillard hors d’âge, avec qui je co-voiturais, ne tarissait pas de remarques acerbes sur le « prix du baril ». Je me demandais bien ce en quoi ça pouvait le torturer vu son évidente incapacité à conduire. Saoulé par le ping-pong d’experts entre mon chauffeur et papy, j’optais pour la question qui les laisserait coi : « Au fait, il y a combien de litre dans un baril ? » Le silence ne se fit pas attendre et notre fin de parcours s’en trouva plus sereine.

Le service de médecine 4 de l’hôpital de Soissons était très accueillant. Et de ce fait, les rencontres étaient tout aussi variées. A peine installé dans ma chambrette, la visite de Christian me plongea dans l’instant dans le monde du travail de l’usine de cartonnage de Soissons. Christian n’était pas le gars à s’embarrasser de longues et fastidieuses présentations et la plongée au recyclage des papiers fût toute aussi instantanée que vivante. Il faut dire qu’il y mettait du cœur, ne lésinant pas sur les bruits que je devinais être ceux d’une vaste machine à retraiter le papier. Il fut tout aussi réaliste que puissant dans son interprétation de ce que j’ai cru identifier comme la sécheuse. De ce fait, Léontine le renvoya à sa canfouine sans ménagement. Son efficacité et son amabilité, toute antillaise, me soulagèrent car je me voyais mal poursuivre plus avant cette visite immobile et à haute teneur en décibels. Le monde du travail n’est pas sans effet et les plus fragiles y laissent la raison.

Une fois au calme, mon infirmière me brancha en attente des produits ad hoc. C’est un peu comme à la station service, pistolet dans le réservoir mais sans faire le plein. Rien de concret, outre une solution aqueuse pour maintenir la voie ouverte. Attente du feu vert de l’équipe de « neuros » au vu de mes analyses mensuelles. Je ne m’impatiente même pas, bien aidé en cela par mon voisin de chambrée que le show sonore de Christian n’avait pas sorti de sa torpeur. Il a vingt ans et se régale de TV Shopping dès le réveil. Nous sommes gâtés ce matin car les produits miracles, l’été approchant, sont tous à même de nous rendre la silhouette de nos vingt ans. Un seul échappe à la règle, la boule de lavage, qui d’évidence a l’air grandiose, protège la nature, ne coûte pas cher et remplace la lessive. En fait, on lessive sans lessive. Que demander de mieux… peut-être une présentation moins conne de ce produit révolutionnaire qui mérite mieux que des acteurs pas à la hauteur de cette révolution du tambour et un huissier moins glauque pour attester du miracle. Mais revenons à notre été à la plage, entouré que de petits culs ou fesses fermes. Pour cela, divers appareils sont indispensables. Le four qui cuit en dégraissant, l’imitation de Power plate qui me laisse tout secoué d’efficacité, la cabine de hammam domestique suante ou encore le régulateur de transit qui, non content de réguler, emporte les mauvaises graisses vers votre fosse septique. Notez, la semaine prochaine, de ne pas manquez les enzymes rajeunisseurs de fosse septique, encrassée comme de juste.

Pas lassé, mon voisin enchaîne avec le « brillance pack auto » mais je le lâche et musique aux oreilles, je replonge dans la lecture de la vie de Gandhi. Je pense au Mahatma et me demande combien de tours il a fait dans son nuage crématoire en voyant les sud africains « de souches » expulser violemment ceux-là même qui, réfugiés de contrées voisines, avaient bêtement cru à cette histoire de « One people, One nation ».

Ma perfusion en fin de shoot de cortisone, j’attaque mon repas avec la même réserve frugale qu’aurait eu Mohandas Gandhi devant ce triste morceau de bœuf, bouilli de surcroît.
J’abandonne l’idée d’une marche du sel ou d’une désobéissance civile solitaire et mâchonne mon bœuf bouilli sans sel cause cortisone. Dieudonné se pointe, sourire radieux et africain aux lèvres. Pour faire diversion, nous évoquons l’Amiwo au poulet typiquement béninois et ses délicates saveurs de crevettes séchées, d’ail et d’oignons.

Mais cette journée se termine si classiquement que je ne résiste pas à la clore avec vous sur le fabuleux sourire de Dieudonné lorsque à ma question « Au fait comment as-tu appelé ta fille ? » il me répond : « Merveille ».

Prochain trip soissonnais, le 2 juillet.

mercredi 21 mai 2008

Tranches d'Endoxan, épisode 3


Hôpital de Soissons, le 7 mai 2008

Pour la troisième fois, je croisais Philippe. Nous partagions pour quelques heures, une chambre, une maladie démyélénisante et des tenues légères dans une chaleur hospitalière de rigueur. Mon corps et mes quadriceps d'acier firent immédiatement vibrer mon voisin de perfusion.
Il faut dire qu’ étonnamment, alors que Phil subissait une forte fonte musculaire de sa jambe droite, la plus touchée, j'affichais pour ma part une musculature des jambes à faire pâlir les fondus du Power plate. Je ne m'en étonnais guère car, même au repos, mes muscles s'agitaient aussi fortement que spontanément, comme habités par quelques lutins sous crack.

En permanence sollicités par je ne sais quelles impulsions nerveuses, ces derniers se musclaient continuellement. Le résultat était que j'affolais les sens de mon pote de chambrée. Alors que j'acceptais aisément de ne plus faire de marathon et l'étiage global de mes prétentions sportives, à contrario, Phil ne pensait qu'à cela et hyper activait ses journées volontairement au prétexte de maintenir « la forme ». L'épuisement s'en suivait car même l'anodin devient une victoire que les biens portants ne soupçonnent pas. J'en parlais, il y a peu avec Jean Phi, un ami diminué par un accident de voiture, et nous nous étonnions encore de ne voir aucune délégation pour nous remettre une médaille lorsque nous vidons le lave vaisselle ? Et pourtant, l'ultime effort est là, tout comme l'épuisement. Pour ma part et plutôt partisan des courses de très longues distances, je n'ai jamais connu, à l'arrivée de ces dernières, d'épuisement tel que me l'impose parfois un quotidien insignifiant. Même après onze heures de course non stop…

Brisons là avec cette réflexion sur nos performances physiques diminuantes. Dieudonné est de retour et c’est une joie de le voir. C’est en fait une fille qu’il vient d’avoir au Bénin, il a l’air ravi. Bref tour d’horizon avec l’équipe neurologique et conseils divers sur la prise de Lioresal, un décontractant central qui devrait limiter les contractures permanentes tout en me ramollissant un peu trop globalement. Sinon, tout va pour le mieux et je supporte d’autant mieux cette chimio qu’un puissant accompagnement affectif m’en fait zapper totalement les effets secondaires, de plus inexistants. Je ne pousse pas plus loin avec l’équipe médicale sur l’incidence de Marie sur mon état, je ne les sens pas prêts pour les romances. Je préfère renouveler mon invitation à Dieudonné pour un repas à sa convenance. Il opine et me lâche un grand sourire.
Philippe me quitte après le passage de son doc. J’entame l’après midi avec Maurice, 27 ans, pompier professionnel qui vient de se casser la gueule dans l’escalier après une perte de connaissance. C’est mieux dans la moquette de son escalier, qu’en haut de la grande échelle ! Il travaille à Meaux à la caserne certes, mais aussi à la cité de Pierre Collinet où ses interventions sont effectivement émaillées d'espiègles vols de leurs véhicules, d'aimables castagnes aussi variées, spontanées que sans motif. Il ne semble pas en nourrir une quelconque rancœur mais l’intègre plutôt dans les suggestions de la fonction ! Une époque formidable où les pompiers se font casser benoîtement la gueule, les hôtesses de l’air se font violer dans leurs chambres ou dans les toilettes en vol et une femme de 36 ans découvre que les huit enfants que lui a fait son père n’était pas une raison suffisante pour qu’il la séquestre et la punisse à l’acide chlorhydrique.
Mon Fangio du Véhicule Sanitaire Léger toque aimablement à la porte de la chambre pour un retour à mon domicile. Il a pris l’initiative de venir avec un fauteuil roulant. Vu la chaleur et mon état, je l’embrasserai. Vu l’incompétence évidente de son orthodontiste, je ne l’embrasse pas et nous filons rapidement au travers du plateau soissonnais.
« On va pas trop pousser la bête » me dit-il « car les Schmidts sont de sortie ». J’acquiesce mollement d’un « Les empaquetés ! » qui le rassure. Ce seront nos seules remarques philosophiques sur la police de la route et déjà le château de La Ferté Milon se dessine sur fond de colza en fleur.

Tranches d'Endoxan, épisode 2


Hôpital de Soissons, le 9 avril 2008

Gaston RAYMOND m’attendait dans le lit adjacent au mien. Et oui, même pour un traitement en hôpital de jour, à Soissons, un lit vous est fourni. Vous êtes même nourri par quelques experts du réchauffage massif de plats tout prêts. Dans ce domaine gastronomique où il ne faut pas craindre de saveurs excessives, je suis pour ma part contraint à l’épreuve suprême du sans sel, confinant ainsi au degré zéro de l’échelle gustative.

Dans l’attente de ma prise en charge par les infirmières et le branchement initial de ma perfusion, Gaston et moi n’avons guère discuté. J’aurai volontiers entamé une discussion qui nous aurait forcément porté à croiser quelques informations généalogiques. Pour ceux qui ont déjà décroché, je rappelle notre homonymie constatée au tableau au dessus de son lit. Hélas, Gaston, semblait fortement sollicité par sa prostate comme me le faisait imaginer sa manipulation très brouillonne de son pistolet. Il faut dire que lorsque l’on est équipé d’une couche « grand sport » comme la sienne, maintenu allongé dans son lit et que, de plus, dans un ultime sursaut de tenue, on a la ferme intention de ne pas pisser dans sa couche mais dans un pistolet, ça mène forcément à pisser au lit ou plutôt au dessus de sa couche. D’évidence son quatrième pipi au lit de la matinée lassait ses infirmières. De fait, nous n’avons pas pu aborder nos éventuels liens familiaux et de plus, bite à la main, ça ne se fait pas !
J’embraye direct avec ma perfusion de 500 mg de Solumédrol, assistée électriquement par seringue qui régule délicatement l’injection de cortisone. Comptez trois heures au bas mot. J’ai bêtement oublié mes lunettes au profit de mon ordinateur portable. J’en profite donc pour visionner à nouveau et avec plaisir le film Fightclub avec Brad Pit et Edward Norton, qu’Henri m’a collé dans mon PC.

La porte de la chambre s’ouvre en pleine baston, entre Brad et Edward, dont le film est émaillé. C’est l’équipe médicale qui visite ses patients, mon neurologue en tête de cinq internes. Nous évoquons, ce dernier mois et l’absence totale d’effet secondaire sous l’œil toujours sévère de la toujours roumaine Sylvia. Il y a même pour cette visite une autre de ses collègues roumaines, celle la même dont j’avais essuyé les errances de syntaxe et de grammaire lors des derniers jours de ma maman. Huit années plus tard, ses progrès linguistiques ne peuvent qu’être réels, a contrario, elle semble toujours aussi coincée, revêche et ma question à la ronde sur l’absence de mon pote Dieudonné la laisse de sel.
C’est le docteur Flick qui me renseigne avec un accent plus ensoleillé que les deux rabats joies de l’est. Mon pote Dieudo est retourné au pays, non car en manque de bière Flag, de soleil ou de poulet yassa mais tout simplement pour un heureux événement arrivé dans sa famille. Pour raccourcir, il est donc papa à nouveau et rentré à Cotonou.

Le rythme hospitalier suit malheureusement celui des repas. Mon plateau arrive et ce moment à lui seul mérite le recueillement. Au delà de la cortisone et de la chimio voici donc l’épreuve réelle. J’appelle Marie, mon meilleur soutien moral, pour intervention distante immédiate. Elle compatit complaisamment au menu qui suit :

Salade d’endives jambon, Pintade en salmis, Choux verts braisés, Yaourt aux fruits, Orange, Pain. Le tout sans sel « because » cortisone et ponctué d’un « Bon appétit ».

Je réalise, dans un ultime machouillage, avec une tendresse gustative incontrôlée, qu’il s’agit d’une pintade aux choux que maman cuisinait à la perfection. Rien à voir, bien évidemment.

Sept heures après mon admission, je retrouve mon chauffeur de VSL façon « Taxi driver » (voir épisode 1) mais nos sujets de conversation sur le chemin du retour virevoltent entre flamme olympique aux désosseurs indiens du paquebot France en mer de Chine. En vingt minutes, il faut pas traîner en digressions alambiquées mais, vous en conviendrez, le temps nous est compté pour approfondir. Au beau milieu de la plaine soissonnaise, la platitude de nos réflexions sur ces sujets ne risque pas de révolutionner l’avenir des esclaves de la casse de paquebots, ni d’infléchir les enjeux financiers qui prévalent sur les préceptes initiaux de Pierre de Coubertin. Encore un peu troublés par notre colossale impuissance, il note notre prochain voyage le 7 mai.
L’endoxan ne s’attaque pas encore à mes restes de neurones syndicaux car, en le laissant partir, une question basique d’indemnités kilométriques ou de mise en place me vient à l’esprit : Ces indiens délocalisés de Bombay à la mer de Chine doivent-ils s’y rendre par leurs propres moyens ou bien quelques négriers modernes leurs assurent-ils un transport tarifé ?

Tranches d'Endoxan, épisode 1


Hôpital de Soissons, le 6 mars 2008


Après les appels ou visites attentionnées d'amis et de progéniture et la lecture de précieux texto de soutien, je bondis dans mon VSL (véhicule sanitaire léger) qui passe me chercher. Nous devisons mon chauffeur et moi durant les vingt minutes de trajet.
Dès la sortie de la Ferté-Milon, ce dernier récrimine sur la fermeture définitive de la Gendarmerie locale. Une bonne raison selon lui pour, sérénité oblige, s'équiper d'armes, alliant puissance, maniabilité et efficacité. Je ne lui fais pas part de mes réserves, et mon accord tacite le pousse à me confier son rêve, pas si secret, de 357 Magnum canon court lors de l'entrée du parking de l'hôpital de Soissons.

Dieudonné Djondoufoulou me rend visite dans ma chambre pour le suivi du protocole de chimiothérapie sous Endoxan. En fait, j'ai la formule cocktail, un trait de 500 mg de cortisone, un comprimé d'anti-gerbe, un litre de perfusion hydratante, puis enfin l'Endoxan le tout à déguster en cinq heures de perfusion. Après quelques banalités sur mon périmètre de marche réduit et les espoirs à long terme de ce traitement, nous évoquons son Bénin natal.

Médecin généraliste, son désir de spécialisation en neurologie, lui a valu deux années d'expatriation à Dakar, puis à présent deux autres en France. Après Limoges, ni gaie ni accueillante, il ne regrettera pas non plus Soissons. Je l'imaginais intégré dans une joyeuse communauté africaine locale, distillant des SWARé GWO TANBOU (soirée de gros tambours) ou des bamboulas autour du °KA° (gwo ka) guadeloupéen. Rien de tout cela mais plutôt l'isolement et bien sûr le manque de sa femme et de son fils âgé de quatre ans. Deux années de solitude française en échange de la référence que constitue "interne des hôpitaux français". Je lui laisse mon adresse pour un déjeuner suivant son planning. Il est d'accord et n'a même pas besoin consulter son agenda vide de dîner français depuis son arrivée en France.

Après cette agréable chaleur africaine dans laquelle je me complais, la glaciale et roumaine Sylvia se mêle de notre conversation au prétexte de précision ! Comme si Dieudo et moi avions besoin de ses lumières pour nous remémorer les bières Flag ou les princesses qui saturent les boites de nuit de Cotonou. Bref, en deux phrases ponctuées d'un puissant accent tchèque, elle nous fait remonter, vite fait, plein nord. Encore tout saisis par cette froide brusquerie, cette « trublionne » congelée nous évoque mon prochain shoot. Le retour à la réalité est rude mais Dieudo et moi même faisons face, les yeux encore pleins d'harmattan.

J'ai un peu pratiqué de la tchèque et même de la roumaine. Des expériences issues du système de soins français plus prompt à embaucher du stagiaire aussi économique qu'étranger qu'à libérer le « numerus closus ». Ma première ponction lombaire fut pratiquée à la Mecque mondiale de la neurologie, dans le service du "Grand mufti" des embrouilles neurologiques, le professeur Lyon Caen. Sous l'oeil absent de ce dernier car l'exerçant dans son cabinet privé, la belle roumaine Irina pratiqua sur moi, la ponction des ponctions. Une fois l'aiguille de vingt centimètres ressortie sans douleur aucune de ma moelle, je la remerciais très chaleureusement. Son "da" laconique de réponse à mon enthousiasme me fit comprendre que notre échange finirait là.

J'ai également testé de la roumaine. Sans aucun à priori sur les compétences de ces travailleurs immigrés de la santé, j'ai, a contrario, testé leurs limites dans le dialogue lors de moments aussi lourds en décisions qu’en émotions, durant la phase terminale du cancer de ma maman. Je transcrirai cette limite ainsi. A vous d'y rajouter ce troublant accent roumain. Avec donc une voix de séduisante espionne de l'est, mais dotée d'un cul sans rapport avec les standards cinématographiques, elle me livra doctement à mon premier questionnement inquiet sur maman : " Une poursuite de la chimio a deux effets possibles, soit la prolonger sans espoir, soit la dégrader plus ". Vous aurez noté la construction grammaticale sommaire, peu propice aux subtilités indispensables à ce type de dialogue. L'avenir français des échanges médecin - patient ou famille passera par la maîtrise de la langue ou alors mettons nous tous à un anglais médical de 100 mots, qui ne laissera aucun espoir de dialogue compassionnel.
Bref, mon Dieudonné aurait sûrement été plus fin. Il me manque déjà. Vivement mon prochain shoot, le 9 avril.
Mes cinq heures de perfusion terminées, je quitte Marcel, médecin lui-même, pote éphémère de chambrée, qui à chaque sonnerie de son téléphone fixe s'empare de la télécommande de la télévision pour la porter à son oreille…