mercredi 21 mai 2008

Tranches d'Endoxan, épisode 3


Hôpital de Soissons, le 7 mai 2008

Pour la troisième fois, je croisais Philippe. Nous partagions pour quelques heures, une chambre, une maladie démyélénisante et des tenues légères dans une chaleur hospitalière de rigueur. Mon corps et mes quadriceps d'acier firent immédiatement vibrer mon voisin de perfusion.
Il faut dire qu’ étonnamment, alors que Phil subissait une forte fonte musculaire de sa jambe droite, la plus touchée, j'affichais pour ma part une musculature des jambes à faire pâlir les fondus du Power plate. Je ne m'en étonnais guère car, même au repos, mes muscles s'agitaient aussi fortement que spontanément, comme habités par quelques lutins sous crack.

En permanence sollicités par je ne sais quelles impulsions nerveuses, ces derniers se musclaient continuellement. Le résultat était que j'affolais les sens de mon pote de chambrée. Alors que j'acceptais aisément de ne plus faire de marathon et l'étiage global de mes prétentions sportives, à contrario, Phil ne pensait qu'à cela et hyper activait ses journées volontairement au prétexte de maintenir « la forme ». L'épuisement s'en suivait car même l'anodin devient une victoire que les biens portants ne soupçonnent pas. J'en parlais, il y a peu avec Jean Phi, un ami diminué par un accident de voiture, et nous nous étonnions encore de ne voir aucune délégation pour nous remettre une médaille lorsque nous vidons le lave vaisselle ? Et pourtant, l'ultime effort est là, tout comme l'épuisement. Pour ma part et plutôt partisan des courses de très longues distances, je n'ai jamais connu, à l'arrivée de ces dernières, d'épuisement tel que me l'impose parfois un quotidien insignifiant. Même après onze heures de course non stop…

Brisons là avec cette réflexion sur nos performances physiques diminuantes. Dieudonné est de retour et c’est une joie de le voir. C’est en fait une fille qu’il vient d’avoir au Bénin, il a l’air ravi. Bref tour d’horizon avec l’équipe neurologique et conseils divers sur la prise de Lioresal, un décontractant central qui devrait limiter les contractures permanentes tout en me ramollissant un peu trop globalement. Sinon, tout va pour le mieux et je supporte d’autant mieux cette chimio qu’un puissant accompagnement affectif m’en fait zapper totalement les effets secondaires, de plus inexistants. Je ne pousse pas plus loin avec l’équipe médicale sur l’incidence de Marie sur mon état, je ne les sens pas prêts pour les romances. Je préfère renouveler mon invitation à Dieudonné pour un repas à sa convenance. Il opine et me lâche un grand sourire.
Philippe me quitte après le passage de son doc. J’entame l’après midi avec Maurice, 27 ans, pompier professionnel qui vient de se casser la gueule dans l’escalier après une perte de connaissance. C’est mieux dans la moquette de son escalier, qu’en haut de la grande échelle ! Il travaille à Meaux à la caserne certes, mais aussi à la cité de Pierre Collinet où ses interventions sont effectivement émaillées d'espiègles vols de leurs véhicules, d'aimables castagnes aussi variées, spontanées que sans motif. Il ne semble pas en nourrir une quelconque rancœur mais l’intègre plutôt dans les suggestions de la fonction ! Une époque formidable où les pompiers se font casser benoîtement la gueule, les hôtesses de l’air se font violer dans leurs chambres ou dans les toilettes en vol et une femme de 36 ans découvre que les huit enfants que lui a fait son père n’était pas une raison suffisante pour qu’il la séquestre et la punisse à l’acide chlorhydrique.
Mon Fangio du Véhicule Sanitaire Léger toque aimablement à la porte de la chambre pour un retour à mon domicile. Il a pris l’initiative de venir avec un fauteuil roulant. Vu la chaleur et mon état, je l’embrasserai. Vu l’incompétence évidente de son orthodontiste, je ne l’embrasse pas et nous filons rapidement au travers du plateau soissonnais.
« On va pas trop pousser la bête » me dit-il « car les Schmidts sont de sortie ». J’acquiesce mollement d’un « Les empaquetés ! » qui le rassure. Ce seront nos seules remarques philosophiques sur la police de la route et déjà le château de La Ferté Milon se dessine sur fond de colza en fleur.

Tranches d'Endoxan, épisode 2


Hôpital de Soissons, le 9 avril 2008

Gaston RAYMOND m’attendait dans le lit adjacent au mien. Et oui, même pour un traitement en hôpital de jour, à Soissons, un lit vous est fourni. Vous êtes même nourri par quelques experts du réchauffage massif de plats tout prêts. Dans ce domaine gastronomique où il ne faut pas craindre de saveurs excessives, je suis pour ma part contraint à l’épreuve suprême du sans sel, confinant ainsi au degré zéro de l’échelle gustative.

Dans l’attente de ma prise en charge par les infirmières et le branchement initial de ma perfusion, Gaston et moi n’avons guère discuté. J’aurai volontiers entamé une discussion qui nous aurait forcément porté à croiser quelques informations généalogiques. Pour ceux qui ont déjà décroché, je rappelle notre homonymie constatée au tableau au dessus de son lit. Hélas, Gaston, semblait fortement sollicité par sa prostate comme me le faisait imaginer sa manipulation très brouillonne de son pistolet. Il faut dire que lorsque l’on est équipé d’une couche « grand sport » comme la sienne, maintenu allongé dans son lit et que, de plus, dans un ultime sursaut de tenue, on a la ferme intention de ne pas pisser dans sa couche mais dans un pistolet, ça mène forcément à pisser au lit ou plutôt au dessus de sa couche. D’évidence son quatrième pipi au lit de la matinée lassait ses infirmières. De fait, nous n’avons pas pu aborder nos éventuels liens familiaux et de plus, bite à la main, ça ne se fait pas !
J’embraye direct avec ma perfusion de 500 mg de Solumédrol, assistée électriquement par seringue qui régule délicatement l’injection de cortisone. Comptez trois heures au bas mot. J’ai bêtement oublié mes lunettes au profit de mon ordinateur portable. J’en profite donc pour visionner à nouveau et avec plaisir le film Fightclub avec Brad Pit et Edward Norton, qu’Henri m’a collé dans mon PC.

La porte de la chambre s’ouvre en pleine baston, entre Brad et Edward, dont le film est émaillé. C’est l’équipe médicale qui visite ses patients, mon neurologue en tête de cinq internes. Nous évoquons, ce dernier mois et l’absence totale d’effet secondaire sous l’œil toujours sévère de la toujours roumaine Sylvia. Il y a même pour cette visite une autre de ses collègues roumaines, celle la même dont j’avais essuyé les errances de syntaxe et de grammaire lors des derniers jours de ma maman. Huit années plus tard, ses progrès linguistiques ne peuvent qu’être réels, a contrario, elle semble toujours aussi coincée, revêche et ma question à la ronde sur l’absence de mon pote Dieudonné la laisse de sel.
C’est le docteur Flick qui me renseigne avec un accent plus ensoleillé que les deux rabats joies de l’est. Mon pote Dieudo est retourné au pays, non car en manque de bière Flag, de soleil ou de poulet yassa mais tout simplement pour un heureux événement arrivé dans sa famille. Pour raccourcir, il est donc papa à nouveau et rentré à Cotonou.

Le rythme hospitalier suit malheureusement celui des repas. Mon plateau arrive et ce moment à lui seul mérite le recueillement. Au delà de la cortisone et de la chimio voici donc l’épreuve réelle. J’appelle Marie, mon meilleur soutien moral, pour intervention distante immédiate. Elle compatit complaisamment au menu qui suit :

Salade d’endives jambon, Pintade en salmis, Choux verts braisés, Yaourt aux fruits, Orange, Pain. Le tout sans sel « because » cortisone et ponctué d’un « Bon appétit ».

Je réalise, dans un ultime machouillage, avec une tendresse gustative incontrôlée, qu’il s’agit d’une pintade aux choux que maman cuisinait à la perfection. Rien à voir, bien évidemment.

Sept heures après mon admission, je retrouve mon chauffeur de VSL façon « Taxi driver » (voir épisode 1) mais nos sujets de conversation sur le chemin du retour virevoltent entre flamme olympique aux désosseurs indiens du paquebot France en mer de Chine. En vingt minutes, il faut pas traîner en digressions alambiquées mais, vous en conviendrez, le temps nous est compté pour approfondir. Au beau milieu de la plaine soissonnaise, la platitude de nos réflexions sur ces sujets ne risque pas de révolutionner l’avenir des esclaves de la casse de paquebots, ni d’infléchir les enjeux financiers qui prévalent sur les préceptes initiaux de Pierre de Coubertin. Encore un peu troublés par notre colossale impuissance, il note notre prochain voyage le 7 mai.
L’endoxan ne s’attaque pas encore à mes restes de neurones syndicaux car, en le laissant partir, une question basique d’indemnités kilométriques ou de mise en place me vient à l’esprit : Ces indiens délocalisés de Bombay à la mer de Chine doivent-ils s’y rendre par leurs propres moyens ou bien quelques négriers modernes leurs assurent-ils un transport tarifé ?

Tranches d'Endoxan, épisode 1


Hôpital de Soissons, le 6 mars 2008


Après les appels ou visites attentionnées d'amis et de progéniture et la lecture de précieux texto de soutien, je bondis dans mon VSL (véhicule sanitaire léger) qui passe me chercher. Nous devisons mon chauffeur et moi durant les vingt minutes de trajet.
Dès la sortie de la Ferté-Milon, ce dernier récrimine sur la fermeture définitive de la Gendarmerie locale. Une bonne raison selon lui pour, sérénité oblige, s'équiper d'armes, alliant puissance, maniabilité et efficacité. Je ne lui fais pas part de mes réserves, et mon accord tacite le pousse à me confier son rêve, pas si secret, de 357 Magnum canon court lors de l'entrée du parking de l'hôpital de Soissons.

Dieudonné Djondoufoulou me rend visite dans ma chambre pour le suivi du protocole de chimiothérapie sous Endoxan. En fait, j'ai la formule cocktail, un trait de 500 mg de cortisone, un comprimé d'anti-gerbe, un litre de perfusion hydratante, puis enfin l'Endoxan le tout à déguster en cinq heures de perfusion. Après quelques banalités sur mon périmètre de marche réduit et les espoirs à long terme de ce traitement, nous évoquons son Bénin natal.

Médecin généraliste, son désir de spécialisation en neurologie, lui a valu deux années d'expatriation à Dakar, puis à présent deux autres en France. Après Limoges, ni gaie ni accueillante, il ne regrettera pas non plus Soissons. Je l'imaginais intégré dans une joyeuse communauté africaine locale, distillant des SWARé GWO TANBOU (soirée de gros tambours) ou des bamboulas autour du °KA° (gwo ka) guadeloupéen. Rien de tout cela mais plutôt l'isolement et bien sûr le manque de sa femme et de son fils âgé de quatre ans. Deux années de solitude française en échange de la référence que constitue "interne des hôpitaux français". Je lui laisse mon adresse pour un déjeuner suivant son planning. Il est d'accord et n'a même pas besoin consulter son agenda vide de dîner français depuis son arrivée en France.

Après cette agréable chaleur africaine dans laquelle je me complais, la glaciale et roumaine Sylvia se mêle de notre conversation au prétexte de précision ! Comme si Dieudo et moi avions besoin de ses lumières pour nous remémorer les bières Flag ou les princesses qui saturent les boites de nuit de Cotonou. Bref, en deux phrases ponctuées d'un puissant accent tchèque, elle nous fait remonter, vite fait, plein nord. Encore tout saisis par cette froide brusquerie, cette « trublionne » congelée nous évoque mon prochain shoot. Le retour à la réalité est rude mais Dieudo et moi même faisons face, les yeux encore pleins d'harmattan.

J'ai un peu pratiqué de la tchèque et même de la roumaine. Des expériences issues du système de soins français plus prompt à embaucher du stagiaire aussi économique qu'étranger qu'à libérer le « numerus closus ». Ma première ponction lombaire fut pratiquée à la Mecque mondiale de la neurologie, dans le service du "Grand mufti" des embrouilles neurologiques, le professeur Lyon Caen. Sous l'oeil absent de ce dernier car l'exerçant dans son cabinet privé, la belle roumaine Irina pratiqua sur moi, la ponction des ponctions. Une fois l'aiguille de vingt centimètres ressortie sans douleur aucune de ma moelle, je la remerciais très chaleureusement. Son "da" laconique de réponse à mon enthousiasme me fit comprendre que notre échange finirait là.

J'ai également testé de la roumaine. Sans aucun à priori sur les compétences de ces travailleurs immigrés de la santé, j'ai, a contrario, testé leurs limites dans le dialogue lors de moments aussi lourds en décisions qu’en émotions, durant la phase terminale du cancer de ma maman. Je transcrirai cette limite ainsi. A vous d'y rajouter ce troublant accent roumain. Avec donc une voix de séduisante espionne de l'est, mais dotée d'un cul sans rapport avec les standards cinématographiques, elle me livra doctement à mon premier questionnement inquiet sur maman : " Une poursuite de la chimio a deux effets possibles, soit la prolonger sans espoir, soit la dégrader plus ". Vous aurez noté la construction grammaticale sommaire, peu propice aux subtilités indispensables à ce type de dialogue. L'avenir français des échanges médecin - patient ou famille passera par la maîtrise de la langue ou alors mettons nous tous à un anglais médical de 100 mots, qui ne laissera aucun espoir de dialogue compassionnel.
Bref, mon Dieudonné aurait sûrement été plus fin. Il me manque déjà. Vivement mon prochain shoot, le 9 avril.
Mes cinq heures de perfusion terminées, je quitte Marcel, médecin lui-même, pote éphémère de chambrée, qui à chaque sonnerie de son téléphone fixe s'empare de la télécommande de la télévision pour la porter à son oreille…