mercredi 2 juillet 2008

Tranches d'Endoxan, épisode 5

Hôpital de Soissons, le 2 juillet 2008

" Monsieur Pineau ! Réveillez vous !"

Monsieur Pineau sortait péniblement de ses rêves de sa mère qui ne trouvait toujours pas ses clefs dans "sa parka"...

" Monsieur Pineau ! Réveillez vous !" deuxième injonction.

Ni dans les poches de son "blouson en daim" dans sa chambre dans le garage…

" Monsieur Pineau ! Réveillez vous !" troisième injonction un ton très au-dessus.

Ni ses meurtrissures, ni son oeil au beurre noir, pas plus que son traumatisme crânien, encore moins ses jambes ramollies n'attendrirent la demandeuse. Une collègue de cette dernière, que je résumerais à une double "Mimi Mathy" rousse, assurait le rôle de second de ma neurologue roumaine.

" Monsieur Pineau ! Réveillez-vous et marchez "

"Mais… il me faut mon déambulateur ou je tombe ! "

" Monsieur Pineau ! Marchez ! "

"Mais il me faut mes chaussons…"

"Pas besoin chausson ! Marchez ! "

Les amateurs de grammaire relèveront chausson sans son article ; Quant aux fanas d’impératif, ils auront forcément noté l’utilisation de "Marchez"en lieu et place de "Marche"et qui induit, en cela, une forme de politesse…

"Mimi Mathy" prêtait main forte à ma tchèque de garde. Hé oui, dommage pour Monsieur Pineau, mais le service neurologique avait été laissé aux mains de ces deux femelles ,ex-stagiaires de la Stasi, pour la grandeur de la médecine française. J'exagère à peine les faits et pas du tout le malaise que je ressentais face à cette situation. Peut-être les premiers effets d’une cortisone qui normalement ne ramollit pas…

Ce n'est pas son jour à Monsieur Pineau, car à peine sorti des griffes des "Stasettes roumaines " et encore tout chancelant de ses efforts déambulatoires sans chaussons, deux femmes de ménage viennent lui annoncer qu'il devait faire sa valise, libérer son lit, ranger ses affaires pour 14h00 et allez attendre dans le couloir l’arrivée de son ambulance prévue à 17h00.

Tout en me désolant du sort de Monsieur PINEAU, je notais l’élan d’optimisation de rotation des lits d’hôpitaux. Une présentation argumentée du problème, ainsi qu’un espace d’attente adapté, aurait été à même de mieux lui faire comprendre cette puissante logistique. A contrario, l’exigence des femmes de ménage sur la nécessité de nettoyer la place laissait Monsieur PINEAU flageolant d’effort à faire sa valise, inquiet de ne pouvoir s’allonger pendant trois heures d’attente et, de fait, tout contrit. Il m’attendrit et tout emmêlé que j’étais dans mes deux rallonges de seringues électriques, je me rapprochais du mieux que je pus pour l’aider à avaler la pilule de son faux départ vers le couloir. Il regrettait surtout de ne pouvoir rester, car sa chambre dans le garage de sa mère ne l’attirait guère, lui préférant la belle lumière de nos chambres médicalisées.

Mais les brimades ne s'arrêtaient pas là puisque Marcelline servait déjà le déjeuner. Seul soulagement, son sourire antillais qui m'inclinait à des rêveries insulo-gastronomiques. En lieu et place de mon choux rouge, je voyais de délicieux tchokas d'aubergine, la langue purée prenait les atours de bébélé . Le retour sous nos latitudes se fit dès la première bouchée de choux rouge, rehaussé d'un puissant haut le coeur. Chimio oblige...

Mon nouveau voisin, Joseph. On notera le peu de mixité dans les chambres, mon voisin, donc, atteint également d'une SEP, m'interpella sur les projets de non remboursement des médicaments associés au traitement des ALD. ALD pour affection longue durée. Il faut dire que l'annonce gouvernementale sur ce principe nous choquait forcément tous deux. Malades donc et exclus du remboursement d’un confort relatif, comme la limitation des diarrhées pour les « tri-thérapés » ou moins grave, des crampes pour notre pathologie. Les décideurs de telles insanités ne devaient jamais avoir eu à s’inquiéter de la proximité de toilettes, libres de surcroît. Alors que le débat actuel et présidentiel de la plus grande nation du monde, à savoir les USA, se place sur le terrain de l'accès à l'assurance maladie, des esprits chagrins et d’évidence constipés annonçaient la fin pour les plus touchés d'une partie de ces belles dispositions. Annoncer que l'on coupera les deux bras de tout le monde n'est il pas le meilleur moyen de satisfaire les futurs manchots, heureux de nouvelles prétentions revues de moitié !

Certains lecteurs se plaignent de ne pas avoir plus de précision sur l’amélioration que m’apporte cette chimio. Je résumerais cela d’un "bof" peu convaincu, doublé d’un "top" qui qualifie tout, sauf mon périmètre de marche.

En route vers La Ferté Milon, mon chauffeur Bruno disserte sur le tireur du 3ème Régiment d'Infanterie de Marine de Carcassonne. Son approche est, sans nul doute, ce que j'ai entendu de plus sensé " Putain, on répète, sans arrêt, à nos mômes de ne pas viser les gens, même pour rire..."
Le fin du trajet retour se déroule sur fond de jérémiades de ma co-voiturée, pas pressée de retrouver son fils de vingt sept ans, au chômage, qui se fout sur la gueule avec son mari mais également sur son "transi" notoirement accéléré par vingt centimètres de colon resté au bloc, il y a de ça six mois. Un "transi" tous les quart d'heure lors de sa visite chez sa soeur à Dunkerque le week-end dernier ! Très "pro" ou craignant pour ses coussins, Bruno accélère... discrètement !

« Next » tranche, le 6 août 2008