mercredi 21 mai 2008

Tranches d'Endoxan, épisode 2


Hôpital de Soissons, le 9 avril 2008

Gaston RAYMOND m’attendait dans le lit adjacent au mien. Et oui, même pour un traitement en hôpital de jour, à Soissons, un lit vous est fourni. Vous êtes même nourri par quelques experts du réchauffage massif de plats tout prêts. Dans ce domaine gastronomique où il ne faut pas craindre de saveurs excessives, je suis pour ma part contraint à l’épreuve suprême du sans sel, confinant ainsi au degré zéro de l’échelle gustative.

Dans l’attente de ma prise en charge par les infirmières et le branchement initial de ma perfusion, Gaston et moi n’avons guère discuté. J’aurai volontiers entamé une discussion qui nous aurait forcément porté à croiser quelques informations généalogiques. Pour ceux qui ont déjà décroché, je rappelle notre homonymie constatée au tableau au dessus de son lit. Hélas, Gaston, semblait fortement sollicité par sa prostate comme me le faisait imaginer sa manipulation très brouillonne de son pistolet. Il faut dire que lorsque l’on est équipé d’une couche « grand sport » comme la sienne, maintenu allongé dans son lit et que, de plus, dans un ultime sursaut de tenue, on a la ferme intention de ne pas pisser dans sa couche mais dans un pistolet, ça mène forcément à pisser au lit ou plutôt au dessus de sa couche. D’évidence son quatrième pipi au lit de la matinée lassait ses infirmières. De fait, nous n’avons pas pu aborder nos éventuels liens familiaux et de plus, bite à la main, ça ne se fait pas !
J’embraye direct avec ma perfusion de 500 mg de Solumédrol, assistée électriquement par seringue qui régule délicatement l’injection de cortisone. Comptez trois heures au bas mot. J’ai bêtement oublié mes lunettes au profit de mon ordinateur portable. J’en profite donc pour visionner à nouveau et avec plaisir le film Fightclub avec Brad Pit et Edward Norton, qu’Henri m’a collé dans mon PC.

La porte de la chambre s’ouvre en pleine baston, entre Brad et Edward, dont le film est émaillé. C’est l’équipe médicale qui visite ses patients, mon neurologue en tête de cinq internes. Nous évoquons, ce dernier mois et l’absence totale d’effet secondaire sous l’œil toujours sévère de la toujours roumaine Sylvia. Il y a même pour cette visite une autre de ses collègues roumaines, celle la même dont j’avais essuyé les errances de syntaxe et de grammaire lors des derniers jours de ma maman. Huit années plus tard, ses progrès linguistiques ne peuvent qu’être réels, a contrario, elle semble toujours aussi coincée, revêche et ma question à la ronde sur l’absence de mon pote Dieudonné la laisse de sel.
C’est le docteur Flick qui me renseigne avec un accent plus ensoleillé que les deux rabats joies de l’est. Mon pote Dieudo est retourné au pays, non car en manque de bière Flag, de soleil ou de poulet yassa mais tout simplement pour un heureux événement arrivé dans sa famille. Pour raccourcir, il est donc papa à nouveau et rentré à Cotonou.

Le rythme hospitalier suit malheureusement celui des repas. Mon plateau arrive et ce moment à lui seul mérite le recueillement. Au delà de la cortisone et de la chimio voici donc l’épreuve réelle. J’appelle Marie, mon meilleur soutien moral, pour intervention distante immédiate. Elle compatit complaisamment au menu qui suit :

Salade d’endives jambon, Pintade en salmis, Choux verts braisés, Yaourt aux fruits, Orange, Pain. Le tout sans sel « because » cortisone et ponctué d’un « Bon appétit ».

Je réalise, dans un ultime machouillage, avec une tendresse gustative incontrôlée, qu’il s’agit d’une pintade aux choux que maman cuisinait à la perfection. Rien à voir, bien évidemment.

Sept heures après mon admission, je retrouve mon chauffeur de VSL façon « Taxi driver » (voir épisode 1) mais nos sujets de conversation sur le chemin du retour virevoltent entre flamme olympique aux désosseurs indiens du paquebot France en mer de Chine. En vingt minutes, il faut pas traîner en digressions alambiquées mais, vous en conviendrez, le temps nous est compté pour approfondir. Au beau milieu de la plaine soissonnaise, la platitude de nos réflexions sur ces sujets ne risque pas de révolutionner l’avenir des esclaves de la casse de paquebots, ni d’infléchir les enjeux financiers qui prévalent sur les préceptes initiaux de Pierre de Coubertin. Encore un peu troublés par notre colossale impuissance, il note notre prochain voyage le 7 mai.
L’endoxan ne s’attaque pas encore à mes restes de neurones syndicaux car, en le laissant partir, une question basique d’indemnités kilométriques ou de mise en place me vient à l’esprit : Ces indiens délocalisés de Bombay à la mer de Chine doivent-ils s’y rendre par leurs propres moyens ou bien quelques négriers modernes leurs assurent-ils un transport tarifé ?

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