mercredi 21 mai 2008

Tranches d'Endoxan, épisode 1


Hôpital de Soissons, le 6 mars 2008


Après les appels ou visites attentionnées d'amis et de progéniture et la lecture de précieux texto de soutien, je bondis dans mon VSL (véhicule sanitaire léger) qui passe me chercher. Nous devisons mon chauffeur et moi durant les vingt minutes de trajet.
Dès la sortie de la Ferté-Milon, ce dernier récrimine sur la fermeture définitive de la Gendarmerie locale. Une bonne raison selon lui pour, sérénité oblige, s'équiper d'armes, alliant puissance, maniabilité et efficacité. Je ne lui fais pas part de mes réserves, et mon accord tacite le pousse à me confier son rêve, pas si secret, de 357 Magnum canon court lors de l'entrée du parking de l'hôpital de Soissons.

Dieudonné Djondoufoulou me rend visite dans ma chambre pour le suivi du protocole de chimiothérapie sous Endoxan. En fait, j'ai la formule cocktail, un trait de 500 mg de cortisone, un comprimé d'anti-gerbe, un litre de perfusion hydratante, puis enfin l'Endoxan le tout à déguster en cinq heures de perfusion. Après quelques banalités sur mon périmètre de marche réduit et les espoirs à long terme de ce traitement, nous évoquons son Bénin natal.

Médecin généraliste, son désir de spécialisation en neurologie, lui a valu deux années d'expatriation à Dakar, puis à présent deux autres en France. Après Limoges, ni gaie ni accueillante, il ne regrettera pas non plus Soissons. Je l'imaginais intégré dans une joyeuse communauté africaine locale, distillant des SWARé GWO TANBOU (soirée de gros tambours) ou des bamboulas autour du °KA° (gwo ka) guadeloupéen. Rien de tout cela mais plutôt l'isolement et bien sûr le manque de sa femme et de son fils âgé de quatre ans. Deux années de solitude française en échange de la référence que constitue "interne des hôpitaux français". Je lui laisse mon adresse pour un déjeuner suivant son planning. Il est d'accord et n'a même pas besoin consulter son agenda vide de dîner français depuis son arrivée en France.

Après cette agréable chaleur africaine dans laquelle je me complais, la glaciale et roumaine Sylvia se mêle de notre conversation au prétexte de précision ! Comme si Dieudo et moi avions besoin de ses lumières pour nous remémorer les bières Flag ou les princesses qui saturent les boites de nuit de Cotonou. Bref, en deux phrases ponctuées d'un puissant accent tchèque, elle nous fait remonter, vite fait, plein nord. Encore tout saisis par cette froide brusquerie, cette « trublionne » congelée nous évoque mon prochain shoot. Le retour à la réalité est rude mais Dieudo et moi même faisons face, les yeux encore pleins d'harmattan.

J'ai un peu pratiqué de la tchèque et même de la roumaine. Des expériences issues du système de soins français plus prompt à embaucher du stagiaire aussi économique qu'étranger qu'à libérer le « numerus closus ». Ma première ponction lombaire fut pratiquée à la Mecque mondiale de la neurologie, dans le service du "Grand mufti" des embrouilles neurologiques, le professeur Lyon Caen. Sous l'oeil absent de ce dernier car l'exerçant dans son cabinet privé, la belle roumaine Irina pratiqua sur moi, la ponction des ponctions. Une fois l'aiguille de vingt centimètres ressortie sans douleur aucune de ma moelle, je la remerciais très chaleureusement. Son "da" laconique de réponse à mon enthousiasme me fit comprendre que notre échange finirait là.

J'ai également testé de la roumaine. Sans aucun à priori sur les compétences de ces travailleurs immigrés de la santé, j'ai, a contrario, testé leurs limites dans le dialogue lors de moments aussi lourds en décisions qu’en émotions, durant la phase terminale du cancer de ma maman. Je transcrirai cette limite ainsi. A vous d'y rajouter ce troublant accent roumain. Avec donc une voix de séduisante espionne de l'est, mais dotée d'un cul sans rapport avec les standards cinématographiques, elle me livra doctement à mon premier questionnement inquiet sur maman : " Une poursuite de la chimio a deux effets possibles, soit la prolonger sans espoir, soit la dégrader plus ". Vous aurez noté la construction grammaticale sommaire, peu propice aux subtilités indispensables à ce type de dialogue. L'avenir français des échanges médecin - patient ou famille passera par la maîtrise de la langue ou alors mettons nous tous à un anglais médical de 100 mots, qui ne laissera aucun espoir de dialogue compassionnel.
Bref, mon Dieudonné aurait sûrement été plus fin. Il me manque déjà. Vivement mon prochain shoot, le 9 avril.
Mes cinq heures de perfusion terminées, je quitte Marcel, médecin lui-même, pote éphémère de chambrée, qui à chaque sonnerie de son téléphone fixe s'empare de la télécommande de la télévision pour la porter à son oreille…

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